"32 Deads Memorial" transcende le statut d’œuvre d’art pour devenir une charge incisive contre l’interconnexion fatale entre énergie, pouvoir et guerre. Ici, un objet ordinaire – une fontaine d’eau de bureau – est transformé en un artefact hybride, luxueux et dérangeant, qui questionne la mécanique invisible d’un monde où l’humanité est sacrifiée sur l’autel du pétrole et du capital.
La base, un cylindre doré, reflète autant l’environnement de la galerie que l’avidité de notre époque. Un robinet plaqué or surgit au centre, symbolisant une source pure mais trompeuse. Sur cette base repose une bonbonne en plastique transparent, dont le volume reproduit celui d’un baril de pétrole. À l’intérieur, ce n’est pas de l’eau, mais du sang. L’ensemble, posé sur un socle de marbre blanc, contraste la sophistication des matériaux avec la brutalité du message. Ce monument nous plonge dans une méditation sur la valeur de la vie humaine, la soif insatiable de pouvoir, et la banalisation du sacrifice.
Le titre, "32 Deads Memorial", fait allusion à la tombe du soldat inconnu, mais ici, l’hommage n’est pas héroïque. Les 32 morts représentent l’homme anonyme, l’innocent broyé dans l’ombre par les logiques de guerre énergétique. La capacité de 160 litres de la bonbonne évoque une économie où chaque goutte de pétrole équivaut à des litres de sang versés. Cette guerre silencieuse, où l’exploitation du pétrole alimente les conflits et les inégalités, est une dénonciation directe du pétrodollar – cette monnaie abstraite qui régit nos relations économiques et politiques mondiales. Le pétrodollar n’est pas une simple monnaie, mais l’incarnation d’un pouvoir global. C’est un rouage clé de la géopolitique, un moteur invisible des guerres modernes.
C'est la dépendance toxique à l’énergie fossile qui est dénoncée, une dépendance qui enchaîne les nations et sacrifie les populations. L'allusion à la pensée de Pier Paolo Pasolini est équivoque; la modernité dissimule une violence systémique où l’énergie et l’argent façonnent des rapports de domination inextricables. Dans ce contexte, "32 Deads Memorial" agit comme une révélation : derrière chaque goutte de pétrole se cachent des vies brisées.
Le choix du plastique, matière jetable et omniprésente, renvoie au "septième continent" – ce vortex de déchets plastiques dans nos océans. Ce symbole amplifie le propos écologique et souligne le paradoxe de notre époque : une société qui consume avidement, jette sans remords, et engendre des ruines écologiques irréversibles. La bonbonne, jetable et déshumanisée, devient une métaphore de l’oubli : celui des vies sacrifiées, des guerres occultées, des ressources surexploitées.
Les symboles et les matières sont manipulées pour provoquer un inconfort profond. La fontaine dorée, apparemment luxueuse, reflète une réalité sordide. L’or brille, mais c’est le sang qui nourrit ce monument. L’eau, source de vie, est ici remplacée par le fluide vital des victimes, dénonçant une logique capitaliste qui réduit l’humain à une ressource.
Cette œuvre n’est pas qu’une critique ; elle invite à interroger notre rôle dans cette mécanique globale où la guerre et la consommation s’alimentent mutuellement. Face à ce monument, la question demeure : combien de sang faudra-t-il encore verser pour alimenter cette méga-machine ?