Certaines œuvres ne se contentent pas d’exister : elles ressurgissent, hantant le présent comme un écho d’un passé que l’on croyait enfoui. Le Violencelle, exhumé par Edmund Rotwang, incarne précisément cette forme d’archéologie conceptuelle où l’histoire, l’invention et le mythe se confondent en une partition dissonante.
Conçu à l’origine comme une arme acoustique par son grand-père, Carl Andreas Rotwang célèbre scientifique et membre de l’ORDR, cet instrument hybride entre violoncelle et dispositif de destruction massive fut mis au point en collaboration avec Enrico Fermi. Son secret réside dans un amplificateur d’infrabasses en ferrodeconium, un alliage expérimental capable de générer des fréquences d’une puissance inouïe. Des archives récemment retrouvées attestent de son utilisation sur des champs de bataille, où des soldats en formation jouaient de concert, générant des vibrations capables de faire s’effondrer des infrastructures entières. Parmi ces images surgit une figure plus énigmatique encore : Pépé Fozr maniant le Violencelle tel un chamane des ondes sonores, un maître d’orchestre de la destruction. 
Mais si le Violencelle a d’abord été une arme, Edmund Rotwang en fait aujourd’hui une œuvre, une relique disséquée dans l’enceinte clinique d’une galerie. Suspendu dans un bassin d’eau saturée en cuivre, son enveloppe métallique subit une lente électrolyse, un effacement progressif qui rappelle la corrosion du temps sur la mémoire collective
Deux bras en résine époxy blanche, moulés sur le corps de l’artiste, tiennent un archet laser vibrant au-dessus des cordes, animant l’instrument d’un souffle spectral. Chaque mouvement du mécanisme semble réveiller les résonances d’un passé enfoui, oscillant entre élégie et menace.
Ce qui frappe ici, c’est la tension entre la beauté du geste musical et la brutalité de son origine. Violencelle... Violence et violoncelle fusionnent en un seul mot, comme une anomalie poétique et sinistre. Il est la dérive du progrès, le détournement d’un objet pensé pour créer vers une finalité destructrice, un enfer violent où le seul souffle des ailes d'un spectre démoniaque suffit à terroriser.
Dans cette exposition, Rotwang ne se contente pas de révéler un artefact oublié ; il orchestre un rituel d’exorcisme. Le Violencelle, instrument de guerre et de mémoire, se consume lentement sous nos yeux, entre mélodie funèbre et vestige de l’indicible. Loin d’être une simple relique, il devient une mise en tension entre le mythe et la matière, entre l’histoire et l’oubli.
Si l’ORDR avait conçu cet instrument pour dominer par le son, Edmund Rotwang le réinvente en requiem. Le Violencelle joue une dernière note – celle d’un monde où l’art, malgré tout, tente encore de transcender la destruction.

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