Trois cercueils minimalistes, leurs surfaces miroitantes fragmentant le regard, reposent au sol comme des monuments funéraires. Sur chacun d’eux, un mât d’acier galvanisé s’élève, portant des panneaux de signalisation. Ces panneaux – un carré bleu, un triangle blanc et un cercle rouge – rappellent immédiatement les couleurs du drapeau français. Bleu, blanc, rouge : une palette familière, symbole d’unité nationale, mais ici réinterprétée pour souligner les contradictions de la République.
Chaque panneau est accompagné d’un panonceau portant un mot emblématique de la devise française : "Liberté", "Égalité", "Fraternité". Ces termes, autrefois porteurs d’espoir, résonnent ici comme des slogans désenchantés, piégés par les réalités contemporaines. La devise républicaine devient ambivalente : idéal politique ou soumission aux lois du marché ?
Le panneau bleu, avec son symbole de paiement par carte, incarne une "Liberté" conditionnée par l’argent. Il surplombe un tas de dents, symbole brutal des sacrifices consentis par ceux qui, souvent exclus du système, continuent d’en porter le poids. L’écho discret aux "sans-dents" souligne cette fracture sociale : la liberté, aujourd’hui, semble réservée à ceux qui peuvent se l’acheter.
Le panneau blanc de danger, accompagné du mot "Égalité", avertit d’un équilibre précaire. Les dents éparpillées à ses pieds rappellent les luttes et les violences endurées par ceux qui revendiquent cette égalité. Si la blancheur du panneau suggère une pureté théorique, elle se heurte à la réalité des fractures sociales et à une répression parfois brutale. L’évocation des blessures laissées par les LBD résonne en sourdine : peut-on encore parler d’égalité lorsque les droits et la justice semblent distribués de manière inégale ?
Enfin, le panneau rouge de sens interdit signale une "Fraternité" qui semble inaccessible. Les dents brisées au pied de ce cercle interdit témoignent d’une humanité divisée, où la solidarité cède le pas à la compétition et à l’individualisme. Cette couleur, empreinte de force et de danger, renvoie autant au sang versé qu’à l’urgence d’un cri d’alarme : la fraternité est-elle encore possible dans un monde si profondément marqué par l’exclusion ?
Les cercueils-miroirs renforcent l’ambiguïté de l’œuvre : ils reflètent et dissimulent, multipliant les perspectives tout en piégeant l’observateur dans son propre regard. Les idéaux républicains, autrefois portés haut, semblent réduits ici à des jeux de reflets trompeurs. Ces miroirs sont-ils un hommage ou une accusation silencieuse ? Une mise en lumière ou un constat d’échec ?
En jouant sur l’expression "tomber dans le panneau", l’installation révèle toute l’ironie d’un système où les promesses d’hier deviennent les désillusions d’aujourd’hui. Les dents brisées sont autant de témoignages de luttes inachevées, de rêves fracassés contre la dure réalité d’un monde régi par des logiques ploutocratiques.
À travers cette composition, l’œuvre interroge subtilement : que reste-t-il de nos devises lorsque les valeurs qui les fondent sont bafouées ? Peut-on encore croire en un idéal commun quand la fracture sociale en révèle les limites ?
Avec une élégance froide et un sarcasme contenu, Tombes, dents et panneaux convoque autant le passé que le présent. Elle pose une question essentielle : le rêve républicain peut-il survivre à son propre reflet ?

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