Spin Cycle est une machine d’apparence familière, un objet domestique à la surface lisse et réfléchissante. Pourtant, derrière son minimalisme assumé, elle n’a rien d’inoffensif. .
Dissimulée sous le vernis du banal, Spin Cycle est une machine de conditionnement mental dont l’utilisateur n’est autre que le spectateur lui-même. Au centre du tambour, immobile dans son agitation simulée, un cerveau transparent flotte, creux, éclairé d’un rouge inquiétant – un écho à 2001, l’Odyssée de l’espace, où HAL 9000, l’IA omnisciente, nous observe dans un silence programmé. Ici, c’est la machine qui nous regarde. Elle ne menace pas, elle n’impose pas : elle intègre.
Le socle sur lequel repose cette structure est recouvert d’un acier brossé, réfléchissant et fragmentant l’environnement immédiat, faisant du spectateur une partie intégrante de l’installation. Son propre reflet fusionne avec l’objet, absorbé dans l’illusion d’un dispositif qui n’a plus d’usager, seulement des flux et des données. Chaque face de cette machine est une surface polie, aseptisée, clinique. Une boîte parfaite qui pourrait être un monument ou un écran. Son design est minimal, médical, épuré jusqu’à la disparition. Tout y est fait pour que la technologie s’efface dans l’évidence, jusqu’à l’oubli. 
Là où une machine à laver traditionnelle propose des cycles de lavage, Spin Cycle affiche un cadran cryptique, une boussole déréglée. Huit programmes, huit initiales, huit multinationales régnant sur le champ mental contemporain : A1, A2, G, M1, M2, N, X, T. Amazon, Apple, Google, Meta, Microsoft, Netflix, X (ex-Twitter), Tesla.
Leur présence n’est pas décorative, mais fonctionnelle. Elles forment un cycle clos, un circuit de contenus, de discours et d’interactions qui tourne à l’infini, brassant et rebattant les mêmes codes, lavant les idées et les formats jusqu’à l’usure.
Loin du bruit chaotique des notifications, un seul son s’échappe de l’installation : un bourdonnement continu, sourd et envahissant. Un bruit d’aspirateur, incessant, hypnotique. Il ne nettoie rien, il absorbe. Il remplit l’espace de sa fonction ininterrompue, tel un bruit blanc omniprésent, brouillant toute autre perception. Spin Cycle ne lave pas, elle aspire. Elle avale tout ce qui passe, le réduit en flux, en contenu, en algorithme.
Ce que propose cette machine, ce n’est pas un lavage, mais un cycle. Un éternel retour du même, où chaque rotation aligne les éléments d’un écosystème technologique qui a cessé d’être un outil pour devenir un environnement total. L’utilisateur n’existe plus en dehors du programme. Il est lavé de toute mémoire, vidé de toute pensée critique, dissous dans le cycle de l’attention monétisée.
À travers cette œuvre, Spin Cycle questionne la place de l’individu dans l’infrastructure invisible des géants du numérique. Nous ne choisissons plus ce que nous consommons : nous sommes consommés. L’expérience se répète, familière et rassurante, jusqu’à ce que l’idée même du choix s’érode et disparaisse. Comme une lessive trop répétée qui use les fibres du tissu, cette mécanique lessive la pensée elle-même, la rend malléable, programmable.
Face à cette machine silencieusement vorace, une question demeure : sommes-nous encore capables d’en sortir ?

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