Je ne vous apprends rien, l’affaire a fait le tour des médias : cela fait maintenant six mois que les 273 roms sont bloqués sur la digue avec, pour seul hébergement, des conteneurs. Hallucinant ? Assurément, si l’on considère qu’ils cohabitent avec 143 touristes franciliens (en caravanes) bloqués aux étages supérieures de la passerelle. Dernière touche de cette communauté atypique au bord de la crise de nerf (et en face de la Major) : 585 arabes (et quelques Comoriens) résidents de la récente cité située sur la même digue. Tous bloqués sur cet étroit passage de pierre d’où ils peuvent voire Marseille, qu’ils désespèrent pouvoir rejoindre un jour.
Étrange histoire que ce rassemblement de maghrébins, de parisiens en costumes, de manouches, de banlieusards en marcel, de directives préfectorales et de CAPITALE CULTURELLE.
Au départ, un port en ruine sur le bord de la Méditerranée. C’est la faute des socialistes qui laissent l’héroïne courir les rues de la cité phocéenne. Heureusement, en 1995, l’énergie du RPR corse permet à la ville deux fois millénaire d’économiser ses allocations et d’investir dans son renouveau. TGV, joliette en chemisette, quartier nord repoussé pour laisser la place à la reconversion. Ville bobo en bleu de chauffe aimant s’encanailler chez les sauvages de la réserve de Noailles, Marseille traverse les années 2000 au rythme de la vitrification de la république et de son tramway qui accompagne silencieusement les trajets effectués à pied.
Le port devient un terminus à étages touristique, les cités pas si nord que ça sont « éclaircies ». En 2007, élargissement européen oblige, des hordes discrètes de gitans roumains autorisés à l’Europe arrivent à Marseille et commencent un obscur et lent travail de fourmis : aider les habitants dans la tâche écologiste  inaccomplie en triant à nouveau les déchets, pour voir s’il ne resterait pas un petit bout de cuivre à recycler. Terrée comme des rats dans des lieux désaffectés à l’hygiène honteuse, la totalité de la population a l’air de s’entendre sur un point : faire comme s’ils n’étaient pas là.
Alors que la France tente de faire de son littoral un bastion inviolable entre le monde civilisé et l’Afrique, la Ville sudiste, à contretemps, préfère s’ouvrir à une nouvelle lubie : la Méditerranée. Elle fait valoir cet attrait, ce trésor et, bégayant un mensonge énorme : « Marseille aime, relie, est en contact, bref Marseille est toute la méditerranée », les businessmen de la chambre de commerce remportent l‘inimaginable : capitale Européenne de la Culture 2013.
La cité de la mer sans marin, et sans port actif, la ville arabe sans mosquée, la ville sans musée, sans usines et qui a éradiqué patiemment tout ce qui faisait son riche passé récent, Marseille donc, sera Capitale Culturelle en 2013.
Pour preuve de ce nouvel élan « méditerranéen » subventionné qui porte la ville au-delà des calanques et des clans, la résidence HLM  conceptuelle « Charonne » voit vite le jour sur la digue du Large (novembre 2009). 137 logements en verre, entre mer et terre, entre Afrique et Occident, bref entre La France et l’Arabie comme y disent les anciens. Un ensemble de navettes assurent la liaison vers le port . Le lieu devient un véritable lieu de ballade et est envahi dès les premiers weekends d’avril par une foule venant visiter cette si exotique communauté.
Pas loin, sur le même quai,  les dockers préféreraient qu’on prenne leur menace de blocage au sérieux plutôt que de se faire prendre en photo par cette vague touristique venue en quête « d’authenticité ».
Bref, tout allait bien : Marseille se la jouait prospère beauf ; Sarkozy usait son crédit en usant du même credo (le thème super ringard de la sécurité) ; nous,  on avait oublié les gitans, les comoriens, les arabes, les dockers… et c’est là que tout est partie en sucette…
Un lundi (férié) soir de Pâques de 2012, alors que des touristes rougis à trop jeter des cacahuètes aux singes maghrébins veulent choper la dernière navette… et bien en fait, y en a plus. Le personnel de la navette « Le Fernandel » veut une revalorisation de ses étrennes et des caméras dans les toilettes du bateau parce qu’ils se font voler la savonnette tous les jours.
Alors que les médias locaux commencent à commenter et filmer (depuis l’autre côté de la berge) ce groupe retenu en otage, la bande des immigrés mafieux de l’Ouest Parisien (Sarkozy, Estrosi, Koushner, Balkany…) se font plaisir avec un petit caprice de gamin de bourges : un petit pogrom avant de partir,  comme dans les grands films. Ils publient une circulaire auprès de tous les préfets de France pour enfermer, et chasser tous les gitans, romanos, gypsies, gens du voyages, caravaneux, voleur de poules et dents en or.
Le résultat ne tarde pas à se faire attendre : déjà encombrée (voir plus haut), la digue d’où partent les Roms pour le port Roumain de Constantsa se retrouve tétanisée par les dockers, lassés d’être des souvenirs, qui ont bloqué le port jusqu'à nouvel ordre. Slogan : on ne prend pas les traveller-checks.
Au milieu des habitants joyeux de la cité, des roms en transit qui s’installent dans le conteneur restés là pour faire « indus », des dockers pas mauvais bougres qui passent de temps en temps, des Aoûtiens campeurs revenant de l’Ile Rousse bloqués sur la passerelle d’où le bateau est reparti, les quelques Marseillais venus à la journée du temps de la visite de la cité Charonne… le tout sur une étroite bande de pierre avec vue sur Marseille, Capitale Européenne de la culture. Car c’est dans cette ambiance incompréhensible que débute l’année 2013.
Vu qu’ils n’ont pas beaucoup d’autres choses à faire, ils se rassemblent sur la voie principale quand le soleil de fin d’été se couche pour rendre enfin supportable la vie sur une pierre.  Comme toujours, face à eux, des milliers de curieux se rassemblent sur le continent et regarde s’endormir la société dont tout le monde parle : la digue du large est devenue « La digue des barges ».
Quelques-uns échangent des nouvelles : « Que fait l’armée ? », « Je t’ai vu a la télé hier », « Il paraît que le ravitaillement de demain va ramener des oursins », « On est devenu la principale attraction de Marseille 2013, les records de fréquentations sont dépassés depuis longtemps », « J'ai entendu sur France Culture que tout le monde pense que nous sommes une installation géniale ! »


Texte co-écrit avec Emmanuel Germont,
en écho à la prospective proposée pour Marseille 2013.
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